Diffa : Réinsertion sociale des anciennes otages de Boko Haram, entre résilience et lamentations !
Le Niger fait partie des pays du bassin du Lac Tchad victimes des attaques meurtrières du groupe terroriste Boko Haram depuis février 2015. Pendant ces six dernières années, des milliers de personnes ont été tuées et beaucoup kidnappées, parmi lesquelles des femmes et des enfants. Certains otages sont morts pendant leur période de captivité et d’autres sont portés disparus. Dans la région de Diffa, les femmes qui ont réussi à s’échapper de Boko Haram rencontrent d’énormes obstacles à leur réinsertion socio-économique. Enquête .
Camp des réfugiés d’Awaridi, à la périphérie nord-Ouest de la ville de Diffa. Ya Koura, âgée de près de 20 ans, est une ancienne otage de Boko Haram qui tente difficilement de refaire sa vie. Elle a été enlevée à Malam Fatori, une ville de près de 30.000 habitants, située sur la frontière nigéro-nigériane, alors qu’elle gardait son troupeau. Elle raconte sa vie de captive : «J’ai connu toutes sortes d’humiliations. Chaque tentative d’évasion était punie de la manière la plus sévère. J’ai été fouettée comme un âne. J’ai encore des traces de blessures. Ils m’ont mariée de force à un de leurs combattants mais j’ai toujours refusé de coucher avec lui ».
Restée en captivité pendant plus de deux ans, Ya Koura a réussi à s’échapper, profitant d’une baisse de vigilance de ses ravisseurs. Elle a retrouvé son père dans le village de Toumour.
Hadiza a eu des enfants avec ses ravisseurs avant de s’enfuir. Elle les élève grâce à l’aide de parents qu’elle a pu retrouver dans la ville de Diffa à sa sortie du camp de réinsertion de Goudoumaria à Diffa. Contrairement à Ya Koura, elle n’a pas subi de sévices corporels. « C’est vrai que beaucoup de femmes ont été fouettées mais moi, je n’ai jamais été fouettée pendant toute ma captivité », confie-t-elle. Pour elle, son rapt relève d’un passé qu’elle s’efforce d’oublier et garantir à ses enfants une chance de réussir. Pour cela, elle ne veut plus évoquer cet épisode douloureux de sa vie. «Tout ça s’est passé pour moi », lâche-t-elle malgré notre insistance.
Comme Hadiza, elles sont nombreuses les anciennes otages de Boko Haram qui disent être fatiguées d’évoquer plusieurs fois leurs situations. Même face aux questions des organismes humanitaires. En vérité, elles sont encore hantées par les atrocités qu’elles ont vécues aux mains de leurs ravisseurs.
Le difficile départ à zéro
Beaucoup d’anciennes otages tentent difficilement de reprendre leur vie à zéro. Certaines d’entre elles ont rejoint leurs communautés. D’autres vivent encore dans des camps de réfugiés, à l’abri des regards par peur d’être indexées ou stigmatisées. D’autres encore ont tenté de se remarier mais sans grand succès car les hommes sont méfiants envers elles par peur de menaces ou de représailles. Et dans ce qui ressemble à une sorte de résignation, certaines anciennes otages se sont remariées avec les ex-combattants de Boko Haram qui se sont repentis. Une difficle réinsertion consécutive à la crise sécuritaire, estime le sociologue Abdourahamne Dicko : « Le terrorisme dans la region de Diffa a plusieurs connotations. Être proche d’un mouvement djihadiste comme Boko Haram, crée les conditions d’une sorte de distancition sociale entre la femme qui a été enlevée ou qui a vécu pendant un moment avec ces combattants et la société », explique-t-il.
Néanmoins, plusieurs anciennes otages tiennent à surmonter l’épreuve de l’impossible réinsertion. Certaines d’entre elles vivent au dépend de leur maris repentis, d’autres ont vendu les kits reçus pour avoir un peu d’argent pour de petits commerces comme la vente des beignets ou la coupure et la vente de bois de chauffe. À la place des lamentations, elles font preuve de résilience.
Une réinsertion socio-économique mal adaptée !
Pour faciliter leur réinsertion socio-économique, le gouvernement du Niger a mis en place en 2016, « Kallo Llenio Klla Founna», en partenariat avec l’organisation non gouvernementale, Search for Common Ground et l’Union Européenne. Dans le cadre de ce programme repentir contre pardon, des femmes, ex-otages de Boko Haram sont prises en charge. Vingt sept (27) d’entre elles ont suivi aux côtés d’ex-combattants qui se sont repentis, une série de formation en électricité, froid, menuiserie bois, couture et broderie, transformation agroalimentaire, tissage de grillages, soudure ou production métallique, réparation des motopompes», confie l’assistant chargé de la formation professionnelle et AGR (activités génératrices de revenus), Laouali Aboubacar.
Kallo Llenio Klla Founna leur a aussi permis de bénéficier de formations dans des filières professionnelles, en déradicalisation et en réinsertion.
Malgré les efforts du gouvernement et de ses partenaires, toutes les anciennes otages de Boko Haram n’ont pas réussi leur réinsertion sociale. Certaines d’entre elles traînent toujours leurs douloureuses blessures provoquées par cette vie de captivité, de servitude et d’esclavage sexuel. Elles mènent encore aujourd’hui, une vie précaire et avec un état psychologique fragile à cause de l’image macabre que reflète pour elles, région de Diffa. « Toutes les femmes qui ont été associées à cette situation ont une identité commune (…). Tant qu’elles vont rester dans la région de Diffa, cette identité va continuer à les poursuivre » estime Dicko Abdourahamane.
Selon certains acteurs de la société civile à Diffa, cela peut aussi s’expliquer par l’inadaptation des filières de formation à toutes les réalités culturelles des ex-otages. “Ce ne sont pas des formations qui peuvent générer des ressources dans les communautés. la communauté Kanuri, qui est en grande partie dans cette crise sécuritaire liée à Boko Haram vit avec deux activités génératrices de revenus : le commerce et l’agriculture” fait savoir Mara Mamadou Abdou, coordinateur du cadre d’action de la société civile de Diffa. Selon lui, culturellement, les jeunes de la communauté Kanuri ne sont pas habitués à des activités manuelles comme la soudure, la menuiserie, l’électricité. Beaucoup d’ex-otages confirment cet état de fait, certaines ont même vendu les kits et matériels de travail qu’elles ont reçu. Elles alternent aide alimentaire et quelques activités faiblement génératrices de revenus pour survivre. « Dans le camp on a appris le tissage des grillages et ça ce n’est pas un métier pour femme. Nous voulons avoir des métiers que nous pouvons exercer et nous prendre en charge et avoir de quoi manger », suggère Tchallou.
La réinsertion n’a pas bien réussi parce que le statut de ces femmes a été mal défini, ajoute le Sociologue Dr Dicko Abdourahamane. « On ne peut pas proposer le même statut aux bourreaux et aux victimes(…). Les femmes sont des victimes et le programme qui a été installé ne prend pas en charge ce caractère spécifique. Elles ont de la peine à réintégrer le cadre social parce qu’il n’y a pas un statut mis en place pour reconnaître ces femmes comme étant des victimes du terroristme », précise-t-il.
La paix, l’idéal d’une réinsertion socio-économique réussie !
Les difficultés rencontrées par les ex-otages, et certains de leurs maris repentis ne semblent pas entamer la politique de réinsertion de l’Etat nigérien, car d’autres combattants continuent de se livrer aux autorités avec femmes et enfants, défend le Gouverneur de la région de Diffa, Issa Lamine. Seul un retour définitif de la paix permettra de surmonter cette situation, selon lui.
Boko Haram est le groupe terroriste le plus meurtrier en Afrique de l’Ouest, selon le réseau Acled. Il est responsable d’au moins 40.000 victimes civiles et militaires. Boko Haram est responsable d’enlèvements, de viols et d’abus sexuels sur au moins 7000 femmes et filles, rapporte le bureau des affaires humanitaire des Nations-Unies, OCHA, dans son rapport publié le 14 Avril 2016.
Au moins 83 enfants ont été utilisés comme kamikazes en 2017, souligne Human Right-Watch.
La région Diffa, au Sud-Est du Niger, avec une population de près de 700.000 habitants, est la plus touchée par le terrorisme de boko Haram. Sur ses 12 communes, neuf ont subi des attaques. Cependant, il est difficile de savoir exactement combien de personnes ont été tuées ou enlevées depuis le début de la crise sécuritaire en février 2015. Seules les communes de Nguel-Bely, Foulatari et N’gourti, situées un peu plus au nord, sont, pour le moment, épargnées.
A Toumour, 15 jeunes filles ont été enlevées le 23 novembre 2018. Avant elles, 39 femmes et enfants ont aussi été enlevés à Ngallewa, le 02 Juillet 2017. Dans « certains enlèvements, on n’est pas sûr si les personnes sont vivantes ou non », explique Issa Bonga, maire de Toumour. Cependant, celles D’Ngalewa ont préféré faire équipe avec leurs désormais ex-bourreaux. « Boko Haram a libéré certaines personnes, mais elles ne veulent plus revenir. Elles appellent leurs parents pour leur dire qu’elles sont maintenant avec Boko Haram, et les invitent même à les rejoindre », confie le maire de Kablewa, Youré Yousé.
En attendant le retour de la paix, deux solutions peuvent servir d’alternative pour améliorer la vie des ex-otages de Boko Haram, estime Dicko Abdourahame. Pour lui, « Il faudrait proceder à une sorte d’officialisation d’un statut particulier des ces femmes victimes du terrorisme dans le seul but de reparer cette inégalité car ces femmes n’ont pas choisi de se retrouver dans cette situation» ou simplement les transferer « dans une autre region oû les femmes sont beaucoup plus versées dans des actvitités génératrices de revenus».
Enquête réalisée par Moussa AMMA dans le cadre du Projet CFI « MediaLab pour Elles », en collaboration avec Ousseina Harouna et Eude Kaltany sous la direction de Gaston Sawadogo. Publiée dans les collones du site LA Voix du peuple du 04 Janvier 2022