Enquête
Diffa : Réinsertion sociale des anciennes otages de Boko Haram, entre résilience et lamentations !
Le Niger fait partie des pays du bassin du Lac Tchad victimes des attaques meurtrières du groupe terroriste Boko Haram depuis février 2015. Pendant ces six dernières années, des milliers de personnes ont été tuées et beaucoup kidnappées, parmi lesquelles des femmes et des enfants. Certains otages sont morts pendant leur période de captivité et d’autres sont portés disparus. Dans la région de Diffa, les femmes qui ont réussi à s’échapper de Boko Haram rencontrent d’énormes obstacles à leur réinsertion socio-économique. Enquête .

Camp des réfugiés d’Awaridi, à la périphérie nord-Ouest de la ville de Diffa. Ya Koura, âgée de près de 20 ans, est une ancienne otage de Boko Haram qui tente difficilement de refaire sa vie. Elle a été enlevée à Malam Fatori, une ville de près de 30.000 habitants, située sur la frontière nigéro-nigériane, alors qu’elle gardait son troupeau. Elle raconte sa vie de captive : «J’ai connu toutes sortes d’humiliations. Chaque tentative d’évasion était punie de la manière la plus sévère. J’ai été fouettée comme un âne. J’ai encore des traces de blessures. Ils m’ont mariée de force à un de leurs combattants mais j’ai toujours refusé de coucher avec lui ».

Restée en captivité pendant plus de deux ans, Ya Koura a réussi à s’échapper, profitant d’une baisse de vigilance de ses ravisseurs. Elle a retrouvé son père dans le village de Toumour.
Hadiza a eu des enfants avec ses ravisseurs avant de s’enfuir. Elle les élève grâce à l’aide de parents qu’elle a pu retrouver dans la ville de Diffa à sa sortie du camp de réinsertion de Goudoumaria à Diffa. Contrairement à Ya Koura, elle n’a pas subi de sévices corporels. « C’est vrai que beaucoup de femmes ont été fouettées mais moi, je n’ai jamais été fouettée pendant toute ma captivité », confie-t-elle. Pour elle, son rapt relève d’un passé qu’elle s’efforce d’oublier et garantir à ses enfants une chance de réussir. Pour cela, elle ne veut plus évoquer cet épisode douloureux de sa vie. «Tout ça s’est passé pour moi », lâche-t-elle malgré notre insistance.
Comme Hadiza, elles sont nombreuses les anciennes otages de Boko Haram qui disent être fatiguées d’évoquer plusieurs fois leurs situations. Même face aux questions des organismes humanitaires. En vérité, elles sont encore hantées par les atrocités qu’elles ont vécues aux mains de leurs ravisseurs.
Le difficile départ à zéro
Beaucoup d’anciennes otages tentent difficilement de reprendre leur vie à zéro. Certaines d’entre elles ont rejoint leurs communautés. D’autres vivent encore dans des camps de réfugiés, à l’abri des regards par peur d’être indexées ou stigmatisées. D’autres encore ont tenté de se remarier mais sans grand succès car les hommes sont méfiants envers elles par peur de menaces ou de représailles. Et dans ce qui ressemble à une sorte de résignation, certaines anciennes otages se sont remariées avec les ex-combattants de Boko Haram qui se sont repentis. Une difficle réinsertion consécutive à la crise sécuritaire, estime le sociologue Abdourahamne Dicko : « Le terrorisme dans la region de Diffa a plusieurs connotations. Être proche d’un mouvement djihadiste comme Boko Haram, crée les conditions d’une sorte de distancition sociale entre la femme qui a été enlevée ou qui a vécu pendant un moment avec ces combattants et la société », explique-t-il.
Néanmoins, plusieurs anciennes otages tiennent à surmonter l’épreuve de l’impossible réinsertion. Certaines d’entre elles vivent au dépend de leur maris repentis, d’autres ont vendu les kits reçus pour avoir un peu d’argent pour de petits commerces comme la vente des beignets ou la coupure et la vente de bois de chauffe. À la place des lamentations, elles font preuve de résilience.
Une réinsertion socio-économique mal adaptée !
Pour faciliter leur réinsertion socio-économique, le gouvernement du Niger a mis en place en 2016, « Kallo Llenio Klla Founna», en partenariat avec l’organisation non gouvernementale, Search for Common Ground et l’Union Européenne. Dans le cadre de ce programme repentir contre pardon, des femmes, ex-otages de Boko Haram sont prises en charge. Vingt sept (27) d’entre elles ont suivi aux côtés d’ex-combattants qui se sont repentis, une série de formation en électricité, froid, menuiserie bois, couture et broderie, transformation agroalimentaire, tissage de grillages, soudure ou production métallique, réparation des motopompes», confie l’assistant chargé de la formation professionnelle et AGR (activités génératrices de revenus), Laouali Aboubacar.
Kallo Llenio Klla Founna leur a aussi permis de bénéficier de formations dans des filières professionnelles, en déradicalisation et en réinsertion.
Malgré les efforts du gouvernement et de ses partenaires, toutes les anciennes otages de Boko Haram n’ont pas réussi leur réinsertion sociale. Certaines d’entre elles traînent toujours leurs douloureuses blessures provoquées par cette vie de captivité, de servitude et d’esclavage sexuel. Elles mènent encore aujourd’hui, une vie précaire et avec un état psychologique fragile à cause de l’image macabre que reflète pour elles, région de Diffa. « Toutes les femmes qui ont été associées à cette situation ont une identité commune (…). Tant qu’elles vont rester dans la région de Diffa, cette identité va continuer à les poursuivre » estime Dicko Abdourahamane.
Selon certains acteurs de la société civile à Diffa, cela peut aussi s’expliquer par l’inadaptation des filières de formation à toutes les réalités culturelles des ex-otages. “Ce ne sont pas des formations qui peuvent générer des ressources dans les communautés. la communauté Kanuri, qui est en grande partie dans cette crise sécuritaire liée à Boko Haram vit avec deux activités génératrices de revenus : le commerce et l’agriculture” fait savoir Mara Mamadou Abdou, coordinateur du cadre d’action de la société civile de Diffa. Selon lui, culturellement, les jeunes de la communauté Kanuri ne sont pas habitués à des activités manuelles comme la soudure, la menuiserie, l’électricité. Beaucoup d’ex-otages confirment cet état de fait, certaines ont même vendu les kits et matériels de travail qu’elles ont reçu. Elles alternent aide alimentaire et quelques activités faiblement génératrices de revenus pour survivre. « Dans le camp on a appris le tissage des grillages et ça ce n’est pas un métier pour femme. Nous voulons avoir des métiers que nous pouvons exercer et nous prendre en charge et avoir de quoi manger », suggère Tchallou.
La réinsertion n’a pas bien réussi parce que le statut de ces femmes a été mal défini, ajoute le Sociologue Dr Dicko Abdourahamane. « On ne peut pas proposer le même statut aux bourreaux et aux victimes(…). Les femmes sont des victimes et le programme qui a été installé ne prend pas en charge ce caractère spécifique. Elles ont de la peine à réintégrer le cadre social parce qu’il n’y a pas un statut mis en place pour reconnaître ces femmes comme étant des victimes du terroristme », précise-t-il.
La paix, l’idéal d’une réinsertion socio-économique réussie !
Les difficultés rencontrées par les ex-otages, et certains de leurs maris repentis ne semblent pas entamer la politique de réinsertion de l’Etat nigérien, car d’autres combattants continuent de se livrer aux autorités avec femmes et enfants, défend le Gouverneur de la région de Diffa, Issa Lamine. Seul un retour définitif de la paix permettra de surmonter cette situation, selon lui.
Boko Haram est le groupe terroriste le plus meurtrier en Afrique de l’Ouest, selon le réseau Acled. Il est responsable d’au moins 40.000 victimes civiles et militaires. Boko Haram est responsable d’enlèvements, de viols et d’abus sexuels sur au moins 7000 femmes et filles, rapporte le bureau des affaires humanitaire des Nations-Unies, OCHA, dans son rapport publié le 14 Avril 2016.
Au moins 83 enfants ont été utilisés comme kamikazes en 2017, souligne Human Right-Watch.

La région Diffa, au Sud-Est du Niger, avec une population de près de 700.000 habitants, est la plus touchée par le terrorisme de boko Haram. Sur ses 12 communes, neuf ont subi des attaques. Cependant, il est difficile de savoir exactement combien de personnes ont été tuées ou enlevées depuis le début de la crise sécuritaire en février 2015. Seules les communes de Nguel-Bely, Foulatari et N’gourti, situées un peu plus au nord, sont, pour le moment, épargnées.

A Toumour, 15 jeunes filles ont été enlevées le 23 novembre 2018. Avant elles, 39 femmes et enfants ont aussi été enlevés à Ngallewa, le 02 Juillet 2017. Dans « certains enlèvements, on n’est pas sûr si les personnes sont vivantes ou non », explique Issa Bonga, maire de Toumour. Cependant, celles D’Ngalewa ont préféré faire équipe avec leurs désormais ex-bourreaux. « Boko Haram a libéré certaines personnes, mais elles ne veulent plus revenir. Elles appellent leurs parents pour leur dire qu’elles sont maintenant avec Boko Haram, et les invitent même à les rejoindre », confie le maire de Kablewa, Youré Yousé.
En attendant le retour de la paix, deux solutions peuvent servir d’alternative pour améliorer la vie des ex-otages de Boko Haram, estime Dicko Abdourahame. Pour lui, « Il faudrait proceder à une sorte d’officialisation d’un statut particulier des ces femmes victimes du terrorisme dans le seul but de reparer cette inégalité car ces femmes n’ont pas choisi de se retrouver dans cette situation» ou simplement les transferer « dans une autre region oû les femmes sont beaucoup plus versées dans des actvitités génératrices de revenus».
Enquête réalisée par Moussa AMMA dans le cadre du Projet CFI « MediaLab pour Elles », en collaboration avec Ousseina Harouna et Eude Kaltany sous la direction de Gaston Sawadogo. Publiée dans les collones du site LA Voix du peuple du 04 Janvier 2022
Enquête
Lac de Guidimouni : un écosystème en péril sous la menace du changement climatique
Près de 100.000 habitants dépendent des eaux du Lac de Guidimouni, dans la région de Zinder. Mais aujourd’hui, ce réservoir de vie est en train de s’épuiser. Résultat, pertes de revenus des producteurs, insécurité alimentaire croissante et exode des jeunes vers le Nigeria et/ou la Libye. Derrière ce constat alarmant se cache une catastrophe écologique silencieuse, qui menace de faire disparaître à la fois un écosystème et tout un mode de vie.

Vue partielle du Lac de Guidimouni / Ph : M. ALI
Un site stratégique entre maraîchage et survie communautaire
Situé dans le département de Damagaram-Takaya, région de Zinder, le Lac de Guidimouni ou plutôt les mares de Guidimouni, comme les appellent certains chercheurs, regroupe deux plans d’eau essentiels à la vie socio-économique locale. La proximité du Lac avec les habitations a permis, depuis des décennies, la pratique du maraîchage, de la pêche et de l’élevage. D’après les chiffres de l’INS, la commune de Guidimouni compte en 2022, environ 99.774 habitants pour une superficie de 1.123 km². Ces populations, sédentaires ou nomades, dépendent fortement de ces mares pour leurs besoins quotidiens en eau et leurs activités économiques.

Localisation de la cuvette de Guidimouni et de son bassin versant à l’échelle de la commune. (BADAMASSI MALAM ABDOU Moutari, 2023, Dynamique actuelle de la cuvette de Guidimouni et ses conséquences socio-environnementales, Master de Géographie, Département de Géographie, Université André Salifou (Zinder), 77 pages)
Pour Maman Bachir Moudi, Chef du Service communal de l’environnement et de la lutte contre la désertification à Guidimouni, le phénomène d’ensablement du lac a fortement impacté les revenus des producteurs agricoles. « Les terres arables sont progressivement perdues, envahies par le sable charrié et entraîné dans le bassin. Un producteur qui gagnait autrefois entre 700.000 et 800.000 FCFA ne perçoit aujourd’hui plus que 300.000 FCFA », explique-t-il.
Mallam Moudaha est producteur maraîcher et pêcheur, habitant de la rive droite du Lac de Guidimouni et natif de la localité. D’après lui, le Lac représentait la principale source de revenus pour les populations de Guidimouni. « Sur ce lac, nous pratiquions le maraîchage et la pêche, qui occupaient une place centrale dans la vie de notre communauté. La pêche, notamment, était une activité très répandue chez les jeunes. Aujourd’hui, la situation s’est fortement dégradée. L’avancée du désert a rendu les terres autour du lac impropres à l’agriculture ».
Avec l’augmentation rapide de la population, les terres cultivables se font de plus en plus rares. « Autrefois, les familles étaient moins nombreuses et les cultures leur suffisaient à subvenir à leurs besoins. Aujourd’hui, certaines familles ne parviennent même plus à vivre trois mois avec les récoltes agricoles », fait observer Mallam Moudaha. Comme si cela ne suffisait pas, l’avancée du désert empêche toute culture de contre-saison. Ces cultures étaient pourtant essentielles pour compléter les récoltes agricoles et maintenir un certain équilibre dans leurs moyens de subsistance.

Formation végétale de la cuvette / Cliché. Badamassi Malam Abdou Moutari
« Ce qui m’inquiète le plus aujourd’hui, ce sont les activités économiques. Autrefois, les familles tiraient d’importants revenus de la revente et de la transformation des produits maraîchers jusqu’à 600.000 FCFA par producteur et par saison. Mais à présent, ce sont des milliers de dattiers, de goyaviers, de papayers et de citronniers qui disparaissent peu à peu, victimes d’un phénomène climatique que nous ne comprenons toujours pas, ce qui réduit nos revenus », déplore Baba Dan Kako, producteur maraîcher et pêcheur, natif du village Killaloun situé à la rive gauche du Lac Guidimouni.

Images des dattiers et de citronniers autour du Lac de Guidimouni autrefois / Crédit Photo : https://visit-niger.com/listing/le-lac-de-guidimouni-zinder-niger
Toujours selon Baba Dan Kako, beaucoup de jeunes, de 18 à 35 ans, n’ont eu d’autre choix que de partir. Ils s’exilent vers le Nigeria et la Libye à la recherche d’activités génératrices de revenus, pour pouvoir envoyer un peu d’argent à leurs familles restées au village. Leurs parents vivent aujourd’hui dans une grande précarité alimentaire. « Cette situation ne peut pas durer. Si rien n’est fait, si aucune solution durable n’est trouvée, nous serons tous, un jour ou l’autre, contraints de quitter cette terre que nous aimons, emportés par cette catastrophe écologique et climatique », explique-t-il.
Le 21 octobre 2025, nous retrouvons Moussa Souley dans une petite ville du nord du Nigeria, où il vend désormais du café au bord d’une route poussiéreuse. À 28 ans, ce jeune originaire de Guidimouni n’aurait jamais imaginé quitter son village et son lac. « Là-bas, je vivais de mon jardin et d’un petit champ près du lac », raconte-t-il. Grâce aux cultures maraîchères et à la saison agricole, Moussa gagnait en moyenne 300.000 FCFA par récolte, de quoi subvenir modestement à ses besoins et soutenir sa famille.
Mais ces cinq dernières années, tout a basculé. « La terre s’est asséchée, l’eau a reculé, et les récoltes ont disparu », confie-t-il, le regard perdu. Les variations climatiques autour du lac Guidimouni – baisse du niveau d’eau, sols appauvris, vents violents et manque de pluie – ont réduit son exploitation à néant. « Nous avons essayé de tenir, mais chaque saison était pire que la précédente. On n’avait plus rien », ajoute Moussa Souley.
Face à l’impossibilité de vivre de son travail, Moussa a fini par partir, laissant derrière lui sa famille et ses terres. Comme beaucoup de jeunes de la zone, il a pris la route vers le Nigeria dans l’espoir de trouver un revenu et de reconstruire sa vie. « Je ne suis pas parti parce que je voulais. Je suis parti parce que la nature nous a chassés », dit-il avec amertume.
Des transformations écologiques alarmantes
Depuis 2017, « les deux plans d’eau sont devenus permanents, conséquence directe des bouleversements climatiques », explique Maman Bachir Moudi, Chef du Service communal de l’environnement. « Leur configuration évolue rapidement, modifiant les équilibres naturels et économiques, poursuit-il. Le site fait désormais face à une série de menaces environnementales : érosion éolienne et hydrique, remontée des températures, inondations répétées, perte de biodiversité ».

Vue des pêcheurs en activité sur le Lac de Guidimouni / Ph : M. ALI
Selon Maman Bachir Moudi, l’autre problème majeur consiste en l’envahissement d’une large partie de la surface du lac par une plante aquatique invasive, Typha australis, appelée localement « Katchalla ». Cette prolifération affecte directement la communauté de pêcheurs, qui compte plus d’une centaine d’acteurs à Guidimouni et dans les villages voisins tels que Koussa et Goui-Goui. Sous l’effet du vent, le Typha déplace facilement les filets de pêche, entraînant la perte des engins et du matériel, ce qui fragilise davantage ces populations dépendantes de cette activité.

Vue du Typha australis dans le Lac de Guidimouni / Ph : M. ALI
La déforestation autour du lac Guidimouni accentue la vulnérabilité de l’écosystème face aux effets du changement climatique. Selon le Coordonnateur du projet de Régénération Naturelle Assistée (RNA) dans le Bassin du Lac Tchad, M. Souleymane Amadou, les pratiques de gestion durable des ressources naturelles restent encore limitées, alors même que la RNA constitue une solution simple, peu coûteuse et efficace pour restaurer la couverture végétale et stabiliser les sols.
Avec l’appui du Projet de Conservation du Bassin du Lac Tchad (PCBLT), 30 paysans pilotes issus des 9 villages autour du lac ont été formés et accompagnés dans l’adoption de cette technique, permettant de favoriser la repousse naturelle des arbres, protéger les berges et renforcer progressivement la résilience des communautés riveraines. « Restaurer la végétation, c’est protéger le lac et l’avenir des populations qui en vivent », souligne le Coordonnateur.

Vue des Palmiers Doumiers dans le Lac de Guidimouni / Ph : M. Ali
Quelles solutions pour atténuer les effets ?
Selon le Chef du Service des Eaux et Forêts en poste à Guidimouni, Maman Bachir Moudi, des actions urgentes et coordonnées sont nécessaires pour sauvegarder le lac et renforcer la résilience des populations. Parmi les solutions envisagées, la restauration du couvert végétal autour du lac et sur les bassins versants figure en tête des priorités. La mise en place de diguettes, cordons pierreux et plantations d’espèces locales vise à réduire l’érosion des sols, améliorer l’infiltration des eaux de pluie et freiner l’ensablement.
Maman Bachir Moudi encourage aussi le développement de pratiques agroécologiques et agroforestières, permettant aux riverains de diversifier leurs sources de revenus tout en réduisant la pression sur le lac. Des activités alternatives comme l’apiculture, le maraîchage maîtrisé ou l’écotourisme peuvent offrir de nouvelles perspectives économiques.

Un pêcheur ayant pêché un gros poisson sur les abords du Lac de Guidimouni / Ph : M. ALI
Le Lac de Guidimouni, longtemps source de vie, est aujourd’hui au cœur d’un drame écologique silencieux. Sans une action concertée, urgente et durable, c’est tout un écosystème et une population qui risquent de disparaître. Ce cas emblématique illustre les défis immenses que pose le changement climatique en milieu sahélien.
Enquête réalisée par Mounkaila ALI avec le soutien de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO) dans le cadre du Programme Sahel.
Enquête
Migration des femmes africaines d’Agadez vers l’Europe : L’espoir d’une vie paisible brisé en fantasme !
Vaste pays de l’Afrique de l’Ouest, le Niger couvre une superficie de 1.267. 000 km2 dont 2/3 est désertique. Ces dernières années, la question de la migration notamment irrégulière est l’un des défis auxquels le pays est confronté. En effet, le Niger est à la fois un pays d’origine, de transit et de destination de la migration. Le pays partage 5.697 kilomètres de frontières avec ses six voisins dont l’Algérie et la Libye, le plaçant ainsi au centre des mouvements migratoires de l’Afrique surtout de l’ouest et du centre.

photo Dr (une vue des migrants abandonnés dans le désert)
La région d’Agadez située dans le Nord Sud du pays est la capitale cosmopolite où tout candidat à la migration est obligé de séjourner. Selon les données publiées par l’organisation internationale pour les migrations (OIM), entre 2016 et janvier 2025, le Niger a enregistré un nombre total des migrants (entrant et sortant) de l’ordre de 7. 683. 863 personnes. Pour la seule période de janvier 2025, 160.989 migrants sont sortis du pays tandis que 115.175 migrants sont rentrés.
Cependant, au cours de leur aventure souvent périlleuse, les candidats à la migration sont confrontés à d’énormes obstacles. Entre abandon dans le désert du Sahara, torture et humiliation par les passeurs, beaucoup sont arrêtés, emprisonnés dans les centres de rétention en Algérie ou en Lybie avant d’être expulsés dans le désert à la frontière avec le Niger. Parmi eux, on trouve des femmes, des filles et des enfants mineurs nigériennes et aussi des autres nationalités africaines. Ces migrantes subissent d’énormes difficultés comme les violences sexuelles et basées sur le genre, les abus et exploitation et la traite des personnes. Pourtant, la protection des droits humains surtout des migrantes doit être une préoccupation pour les Etats.
Si certains migrants ont fui la pauvreté ambiante, le chômage pour chercher une vie meilleure et une opportunité d’emploi notamment en Europe, d’autres pourtant quittent leurs pays d’origine à cause des conflits et des instabilités politiques. Dans la plupart de cas, les récits de ces migrants notamment les femmes, les filles et les mineurs ne sont toujours pas racontés et ou déformés de leurs réalités. D’où la nécessité de donner la parole à ces braves femmes qui bataillent pour mener une vie paisible.
Malgré les périls : L’idéal c’est l’arrivée à destination !
Agadez, la capitale de l’Aïr est une veille ville historique où depuis des années, les migrants, les réfugiés et même les demandeurs d’asile en transit soit en partance pour l’Europe, soit au retour après leur refoulement cohabitent ensemble avec la population locale. Issus de plusieurs nationalités, chaque femme migrante à son propre vécu. Si certaines connaissent les risques et se sont préparées et déterminer à rejoindre l’Europe via la Lybie ou l’Algérie au prix de leurs vies, d’autres en revanche se sont inspirés des histoires des succès racontées des autres migrantes surtout les investissements réalisés au pays d’origine pour entreprendre le voyage.

Photo Dr ( migrants secourus par les fds)
Rencontré dans un ghetto, une maison où la plupart des migrants en transit séjournent avec la bénédiction des passeurs, Amélia est une femme d’origine ghanéenne. A peine la trentaine révolue, elle a quitté son pays d’origine, traversant les frontières terrestres des autres pays jusqu’à Agadez au Niger. Les multiples procédures en cours de route ne l’ont pas découragé de poursuivre son rêve : « J’ai longtemps rêvé d’aller vivre en Europe pour tenter ma chance. Je connais beaucoup de ghanéens qui ont réussi dans la migration. Pourquoi dois-je m’empêcher alors que tout est possible dans la vie. Il faut simplement avoir un objectif et se donner tous les moyens de l’atteindre. Déjà en cours de route, j’ai suivi pas mal de problèmes surtout les raquettes ». A la question de savoir si elle est au courant du calvaire et autres altercations au cours du voyage surtout dans les pays magrébins, Amélia répond : « certes, il y a des soucis partout et le plus souvent ce sont ces problèmes au quotidien qui poussent beaucoup des africains à quitter et à s’aventurer dans la migration. Tout de même, certains arrivent à traverser et à réussir en Europe ».
Tout comme Amélia, Gloria est une jeune fille nigériane qui attend le convoi pour le voyage. « Je n’ai aucune idée de la route. Ce sont mes contacts qui m’ont mise en relation avec les passeurs d’Agadez. Ils sont censés m’amené en terre algérienne et pour le moment j’attends. ». Pour son premier voyager sur l’Algérie, elle fonde beaucoup espoir : « C’est vraiment un rêve. Avant le covid 19, on avait planifié de partir mais la pandémie a chamboulé notre programme. Depuis 2023, avec la reprise des activités sans risque des passeurs, mes contacts m’ont encouragé à les rejoindre. Ça fait dix jours que je suis à Agadez et espère qu’on va bientôt partir ». Es-tu au courant que lors du voyage ou sur place en Algérie, les femmes subissent des violences y compris sexuelles ? Elle me répond : « Celui qui décide d’entreprendre ce genre d’aventure doit s’attendre à tout y compris la mort. Pour moi, ce voyage ne se prépare pas en un seul jour. Il peut y avoir des difficultés mais l’essentiel c’est aller à destination ».
Si les rêves de Amélia et Gloria, c’est d’aller jusqu’en Europe, l’aventure de la nigérienne Aichatou Issa s’arrête en Algérie : « Nous partons en Algérie pratiquer la mendicité, si vous partez avec des enfants, vous avez la chance de gagner beaucoup d’argent parce que les arabes donnent de l’aumône ». Savez-vous que le voyage est risqué et que vous pouvez perdre votre vie ? « Beaucoup ont perdu la vie dans le désert et même sur place en Algérie. Mais bon, il faut trouver le moyen de vivre. Malgré les difficultés, beaucoup de mes connaissances se sont réalisés dans les zones de Tahoua et Zinder. A chacun son destin et sa chance ». Comment le fonds sont mobilisés ? Aichatou réplique : « tout dépend de la personne. Certaines sont soutenues au niveau de la famille, d’autres vendent leurs biens, et il y a celles qui exercent des petites activités y compris la mendicité à Arlit ou à Agadez pour mobiliser l’argent ».
Vivre dans l’humiliation : le quotidien des migrants en Lybie et en Algérie !
En Algérie comme en Lybie, les migrants africains sont exposés à toute humiliation. S.Htémoigne que :« les femmes travaillent dans des maisons en tant qu’aide-ménagère ou garde enfant. Comme vous êtes à leurs services et qu’ils sont les maitres, beaucoup abusent parce que vous n’avez pas le droit de parler ou disons de contester quoi que ça soit. En dehors de la violence psychologique, le plus souvent, les femmes sont forcées sexuellement ». Une pratique abusive dénoncée par le président de l’ONG JMED Hamidou Nanou Nabara « ces pays maghrébins malgré un certain nombre d’engagements internationaux et même l’adoption de la convention relative aux droits des migrants, sur le terrain, on se rend compte qu’ils ne respectent pas du tout les engagements et font des migrants des objets de manipulation pour leurs partenaires ».

Photo Dr ( migrants assistés par les agents de l’ONG Karkara)
Pire, les femmes, les filles et les mineurs ne sont pas épargnés dans les violences. A.I en est une victime de ces transgressions « En Lybie, il n’y a aucun respect de l’être humain. Torture, abus sexuels, vols…le plus grand risque est que lors de votre détention, ils prennent tous vos biens et puis ils vous forcent à appeler la famille afin de pays la rançon. Beaucoup sont victimes de rançonnage ».
Pour Abdoul Aziz Chégou, responsable de la JNSDD Aikin Kasa, Coordonnateur de Alarme Phone Sahara, la plupart sont arrêtés lors des enlèvements sur le terrain ou leurs lieux de travail : « A l’issue de rafles, les économies sont arrachées en même temps que les objets de valeur tels que des vêtements, des appareils électroniques, des articles de valeur, etc. pour le seul fait d’avoir mis pieds dans un territoire dont la personne n’est pas originaire. Ces genres de traitement à la limite trop subjectifs sont à n’en point douter contraires aux principes de respect de droits humains contenus dans des instruments juridiques de portées nationale, sous régionale et même mondiale. Cela donne la sensation de chair de poule à toute personne dotée de bon sens et renvoie à des souvenirs amers remontant à des époques à jamais révolues ». Pour lui de tout temps, l’être humain a voyagé et cela ne doit pas être une contrainte : « Il suffit juste de parcourir des documents d’histoire pour se rendre compte qu’il y a quelques décennies de cela le plus gros des mouvements d’êtres humains se faisaient des autres continents vers l’Afrique ou de la partie septentrionale du continent africain vers le sud. Aujourd’hui, il est aberrant que ce soit une population composée majoritairement de jeunes, d’adolescents et d’enfants qui subissent le poids du racisme et de la maltraitance sous diverses formes comme si les autochtones de ces pays ne voyagent pas au-delà de leurs frontières nationales. Quoi que l’on dise, le déplacement de l’être humain sur la terre date de millions d’années. L’Homme a depuis son apparition sur terre eu les faveurs de se mouvoir par l’usage de ses membres dont il a été doté, à dos d’animaux ou grâce au progrès techniques et technologiques que ce soit sur terre, en mer ou dans l’espace. Quel qu’en soit le reproche que l’on puisse faire à un être humain, la violation de ses droits doit être bannie ».
Le refoulement des migrants brise l’aventure des migrants !
Malgré l’accord bilatéral entre le Niger et certains pays comme l’Algérie, ce pays continu de refouler les migrants ouest africains vers la frontière avec le Niger. « Dans ma vie, je n’ai jamais pensé qu’un être humain peut maltraiter son prochain de la façon dont nous avons été malmenés. Imaginez, en dehors des violences psychiques, nous avons été abandonnés comme de mal propre en plein désert, sans eau ni nourriture » a affirmé S.A
Ce témoigne ne surprend guère, le responsable de l’ONG Alarme Phone Sahara, qui en 2024, a recensé un nombre record des migrants expulsés d’Algérie vers le Niger. Ce nombre dépasse de loin toutes les statistiques des années précédentes. « Les assistances que nous faisons aux refoulés sont diverses et varient selon les besoins réels que nous constatons sur le terrain à Assamaka, à Arlit, à Agadez et à Niamey. Les mêmes personnes peuvent être assistées sur plus d’un besoin à la fois. Nous pouvons sensibiliser ou conseiller ou même offrir de l’aide sous forme de transport, de référencement ou de fois de rations alimentaires ou faciliter la communication entre elles et leurs proches. A travers cette multitude d’activités, nous pouvons dire que nous avons touché plus de 31.000 personnes de janvier à décembre 2024 comme nous l’avons publié dans notre rapport de fin d’année 2024 » a indiqué Abdoul Aziz Chegou Coordonnateur de Alarme Phone Sahara.

Photo Dr ( case de passage offert par l’OIM aux migrants à Bilma)
L’organisation internationale pour les migrations a aussi mis en place un système d’assistance aux migrants. Selon les données consultées dans son bulletin mensuel « Infosheet- Niger, janvier 2025 », l’organisation a fourni une assistance directe aux migrants en transit dans les sept centres.
Sur la période de 2016 à janvier 2025, on peut retenir :
| Année | Nombre |
| 2016 | 6248 |
| 2017 | 9099 |
| 2018 | 20 056 |
| 2019 | 18 534 |
| 2020 | 10059 |
| 2021 | 12 137 |
| 2022 | 17 145 |
| 2023 | 15 067 |
| 2024 | 15 781 |
| 2025 | 477 |
Ces organisations travaillent au quotidien avec les services de l’état civil et de la migration pour assister secours à ces migrants en détresse. Cependant, l’expulsion et la maltraitance ne désamorcent pas certaines : « Mon rêve est écourté mais je reste convaincue que mon jour viendra. Pour le moment, je n’ai aucune intention de retourner au pays. Je reste travailler soit à Agadez ou dans une autre localité du Niger pour mobiliser le fonds nécessaire » affirme Emmanuella.
Ce genre d’engagement et de détermination amène le coordonnateur de Alarme Phone Sahara à s’interroger sur les raisons de cette aventure « « Je profite pour demander à tous les africains de quelque pays, de quelque race ou ethnie, de quelque religion et de quelque origine sociale à s’interroger sur les raisons de la désertion des bras valides des contrées et des centres urbains vers d’autres cieux. Pour ma part, je peux citer entre autres causes l’acculturation, l’inadaptation de systèmes éducatifs, la mauvaise gouvernance, l’injustice, l’accaparement des terres productives, le terrorisme savamment développé, la mauvaise identification de projets de développement, le complexe d’infériorité, le manque de considération de compétences locales autodidactes, l’inadéquation profil-emploi dans tous les secteurs sociaux, l’égoïsme, le tribalisme, le clanisme, la contusion, la corruption et le passe-droit ».
Pour Manou Hamidou Nabara de l’ONG JMED, « la situation critique de la jeunesse surtout le chômage combiné a un certain radicalisme de certains migrants sont autant d’éléments qui les poussent à s’engager avec la ferme conviction qu’ils vont réussir comme certains de leurs compatriotes ».
L’apport des migrants dans l’économie de leurs pays d’origine
Il est vrai que la migration à ses côtés négatifs mais la majeure partie des migrants contribuent au développement de leurs pays d’origine. Selon les statistiques de la Banque Mondiale, les remises migratoires à destination de l’Afrique subsaharienne ont augmenté de 6,1% en 2022 pour atteindre 53 milliards de dollars. Dans des pays comme le Sénégal, le Nigéria et le Mali, les migrants participent au développement du pays.
« Derrière chaque migrant se cache plusieurs individus. Dans certaines communautés, ce n’est plus une histoire de personne mais plutôt de famille. Et vous vous êtes surpris de voir qu’en cas des problèmes, les familles se débrouillent pour sauver nos vies. En effet, chaque migrant prend en charge un important réseau familial dans son pays d’origine grâce au transfert des fonds » indique avec une certaine fierté et un soulagement F. K, une migrante de nationalité camerounaise.
Beaucoup d’études ont démontré que la migration peut aussi être bénéfique pour la femme en ce sens qu’elle peut avoir une expérience positive et d’améliorer ses conditions de vie. Si elle apprend un métier, elle peut mettre en place une entreprise, créer de l’emploi et renforcer son autonomie. Aussi, vivre dans un autre pays, peut l’amener à avoir des expériences positives. « Certaines de mes compatriotes avec qui nous étions ensemble ont accepté le retour volontaire de l’OIM. Certes, il n’est pas dit qu’il faut nécessairement aller en Europe pour réussir mais seulement les conditions de vie et de travail ne sont pas les mêmes. Aussi, les opportunités pour toutes les catégories. Pour moi, en étant en Europe, c’est plus facile de gagner sa vie et de soutenir les autres » estime Amelia.
La question de la migration irrégulière des femmes est un sujet qui demeure d’actualité puisqu’elles sont en quête de voyager et surtout parmi les expulsés. Pourtant au-delà de la protection de leurs droits dans un contexte des violences, il y a lieu de continuer à travailler et assurer l’effectivité des droits de chaque citoyen. Cela relance le débat au moment où les autorités nigériennes ontà travers l’ordonnance 2023-16 du 25 novembre 2023 abrogé la loi 2015-36 portant criminalisation de certaines activités liées à la migration irrégulière.
A Agadez, l’on remarque que les activités de la migration ont lentement repris mais sans atteindre son développement d’antan qui jadis donnait un réel espoir à ses acteurs.
Ce reportage a été réalisé par Souleymane Oumarou Brah dans le cadre du projet Informa, soutenu par l’Union Européenne.
-
Culture3 mois ago
CANEX Fireside Chat : Khaby Lame une source d’inspiration pour la jeunesse africaine
-
Santé3 mois ago
2ᵉ édition du forum Oxy-Jeunes : 30 jeunes ambassadeurs des 4 communes de Mayahi engagés en faveur la nutrition
-
Société4 mois ago
Société : Déclaration des Alliances de la Société Civile du Niger en faveur de la nutrition
-
Finance3 mois ago
IATF 2027 : Le Nigéria accueillera la 5eme édition de la Foire commerciale intra-africaine