Violations des droits humains et leurs implications chez les jeunes migrants : Résultats d’une évaluation de base dans les départements de Kantché et Tessaoua
À l’instar des autres pays du Sahel, le Niger fait face aux mouvements migratoires des jeunes. Qu’il s’agisse de l’exode rural vers les centres urbains ou des déplacements irréguliers vers l’étranger, ces mouvements sont en général liés aux facteurs démographiques, notamment la raréfaction des terres agricoles et l’insécurité, le tout exacerbé par la dégradation des conditions climatiques. Face à un environnement volatile et insécure, les mouvements migratoires apparaissent donc pour plusieurs ménages comme une stratégie de survie.
Même si ces déplacements apparaissent souvent comme une expérience positive et enrichissante pour beaucoup, il reste évident que sans une gouvernance fondée sur les droits humains à l’échelle nationale et internationale, les migrants peuvent se retrouver vite dans des situations difficiles et où leurs droits fondamentaux sont violés. Qu’ils soient en transit, aux frontières ou dans les pays de départ ou de destination, les droits des migrants ne sont pas systématiquement respectés (HCDH[1], 2022).
Les violations des droits à l’encontre des migrants, surtout les jeunes, pourraient prendre plusieurs formes. La privation des droits civils et politiques est fréquente et prend la forme détention arbitraire, de torture ou d’absence d’une procédure régulière. La violation des droits économiques, sociaux et culturels est aussi permanente. Il peut s’agir de violation de droit à la santé, au logement, à la terre, à la famille ou à l’éducation. Le déni des droits des migrants est très souvent lié à des lois discriminatoires et à des préjugés et des comportements xénophobes profondément ancrés1. Dans sa Déclaration de Politique Générale (DPG), le Niger s’est engagé à renforcer l’accès des citoyens aux droits fondamentaux et de réduire l’extrême pauvreté en renforçant la résilience des personnes et des communautés. Toutefois, pour atteindre cet objectif, des actions concrètes et adéquates sont nécessaires. La formulation de ces actions doit s’appuyer sur une connaissance précise des facteurs en jeu et des circonstances. Et cette connaissance devrait reposer sur des évidences tirées d’un ensemble de données probantes.
Malheureusement, très peu de données sur les migrations sont disponibles au Niger. C’est dans cette optique que l’Ambassade Royale du Danemark auprès du Niger, à travers OXFAM Danemark, a initié et financé le projet d’appui au renforcement de la « Gouvernance Démocratique et des Droits Humains au Niger » (GDDH).
Dans le cadre de ce projet, le consortium composé des ONGs CADEL, ONEN et GRADE Africa[2] a travaillé en faveur d’un « Appui à l’inclusion sociale et à la promotion des droits des jeunes et femmes migrants dans les régions de Maradi (Tessaoua) et de Zinder (Kantché) ». Le travail de ce consortium est accompagné par un volet d’apprentissages. Ce volet est mis en œuvre à travers une approche mixte d’investigation alliant le qualitatif et le quantitatif. Une évaluation de base a été réalisée dans les communes d’intervention du projet à savoir Kourni et Tsaouni dans le département de Kantché et Korgom dans le département de Tessaoua. Cette évaluation a permis de faire le point sur les droits des populations en situation de mobilité et de dresser une typologie des droits violés. Cet exposé présente les résultats de cette évaluation ainsi que leurs implications chez les jeunes migrants.
Tortures et traitements inhumains ou dégradants dans les pays d’accueil ou de transit
Le respect des droits et libertés des migrants dans le pays d’accueil ou de transit est soutenu par plusieurs conventions et traités internationaux comme la Charte internationale des droits de l’homme. Cependant, dans les faits, les migrants sont victimes de plusieurs violations de leurs droits et libertés. En effet, les résultats de l’évaluation menée indiquent que les jeunes migrants sont victimes de plusieurs types de violation de leurs droits dans les pays d’accueil ou de transit.
Le droit le plus violé à l’extérieur est celui relatif à l’interdiction de la torture, de peines ou traitements inhumains ou dégradants. Cette violation a été évoquée par plus d’un jeune migrant de retour sur trois (35%). La deuxième violation concerne le droit à la vie. Cette violation a été déclarée par plus d’un jeune migrant de retour sur cinq. Ensuite viennent la violation du droit relatif à la liberté et la violation du droit relatif à la propriété. Ces deux violations ont été relatées par environ 16% des jeunes migrants de retour interrogés. Ces violations sont suivies par la violation du droit à la liberté de circulation, de résidence et le droit de demander asile, une violation mentionnée par 14% jeunes migrants de retour interrogés.
Ces statistiques sont appuyées par plusieurs récits. Certaines autorités coutumières et religieuses apportent des témoignages précis sur de nombreux jeunes migrants victimes de plusieurs violations des droits et libertés. Un chef de village interrogé témoignait :
« Il y’a même qui crachent sur eux. Ils ne veulent même pas qu’ils les approchent, ils leur disent que chez vous, vous n’avez pas de terre quoi ? Parfois même, ils sont tranquillement assis et la police vient les embarquer. Ils n’ont aucun droit, ce n’est que quand la personne se fait tuer qu’ils commencent à réagir. » (Haro[3], chef de village).
Ces violations de droits à l’endroit des migrants dépendent très souvent du pays d’accueil. Elles sont plus observées dans les pays où le contrôle du territoire échappe à l’État, comme la Lybie. Selon les récits des jeunes migrants de retour, ces violations sont plus fréquentes et plus diversifiées dans ce pays. Un des chefs de village interrogés affirme que :
« Selon ce qu’ils disent, ceux qui partent à la Libye souffrent le plus, il parait que quand on t’attrape tu as l’impression qu’ils vont t’ôter la vie, tellement ils te torturent. Tu peux faire des mois enfermés. Tu marches tranquillement et tu te fais attraper et emprisonner pendant des mois ». (Boukar2, chef de village).
On le perçoit, ces violations traduisent une certaine défaillance de l’État, avec un système judiciaire en faillite. Faut-il le rappeler, depuis la chute de Mouammar Khadfi en 2011, l’État et ses institutions sont devenus très fragiles et instables en Lybie. Beaucoup de groupes armés et bandits armés prolifèrent et imposent leurs lois à travers des actes de tortures, de demandes de rançon, d’emprisonnements sans motif et des exactions multiples. Malheureusement, toutes ces violations ont des conséquences néfastes non seulement sur la santé physique, mais aussi sur leur santé mentale des migrants, et au-delà même celle de leurs familles.
Violation de droit à la propriété et traitements dégradants dans les milieux de départ
La violation de droits des migrants n’est pas seulement observée dans les pays d’accueil ou de transit. Les résultats de cette étude font aussi cas de plusieurs violations des droits des migrants au niveau de leurs milieux de départ. Le droit le plus violé chez les migrants est le droit à la propriété. Cette violation a été partagée par 19% des jeunes migrants de retour interrogés. La principale raison qui pousse à cette violation est souvent l’endettement. En effet, dans la plupart des cas, les candidats à la migration s’endettent pour pouvoir migrer. Quand ils n’arrivent pas à rembourser cette dette, les personnes envers qui ils sont redevables portent très souvent plainte au niveau des autorités. Pour régler le différend, ces autorités ont tendance à hypothéquer une partie des champs des migrants en faveur du plaignant. Un responsable administratif d’une commune d’intervention tient ce propos :
« Si tu vois que le droit de quelqu’un est violé par le Chef de village, ce que la personne est partie avec le crédit de quelqu’un. Par exemple, quand tu pars en migration et que tu dois de l’argent à quelqu’un, il se plaint auprès du Chef, on fait venir ta famille et on prend une portion de votre champ en gage pour la donner à l’emprunteur jusqu’à ce que tu le rembourse. » (Tahirou2, responsable administrative d’une commune d’intervention).
À cette violation s’ajoute celle du droit relatif à l’interdiction de la torture, de peines ou traitements inhumains ou dégradants qui est soutenue par 15% des jeunes migrants de retour interrogés. Celle-ci est suivie par la violation du droit à la vie, déclaré par 17% des jeunes migrants de retour interrogés. Par droit à la vie, l’étude fait allusion à l’incapacité des habitants des localités à subvenir à leurs besoins élémentaires comme celui de se nourrir qui est la principale cause de la migration à plus de 80% des cas. La forte densité démographique dans ces localités, d’ailleurs un peu partout dans les régions de Maradi et Zinder, a provoqué une pression foncière. De nombreux paysans sont sans terre en dépit d’une augmentation du nombre des personnes à nourrir par l’agriculture. Un des Chefs des villages d’intervention du projet interrogé affirme que :
« Avant, je cultivais le champ avec mon père et mon grand-père. Mais, maintenant j’ai 4 enfants, tous chefs de famille. C’est toujours le même champ, rien n’à changer, sauf la diminution de la superficie à cultiver par chacun. Est-ce que l’agriculture peut nous suffire ? Le champ que mon père m’a laissé en héritage, nous sommes maintenant près de 50 personnes qui les cultivent pour se nourrir. Alors qu’avant nous ne dépassons pas 4. » (Kadri, Chef du village).
Bien que la migration permette d’acquérir une expérience riche, notamment dans la vie politique des jeunes, les migrants de retour sont victimes au même titre que les non migrants à la violation de leur droit politique. Ce sont environ 7% de jeunes migrants de retour qui déclarent être privés de leurs droits à une participation politique, contre 10% chez les non migrants.
Par ailleurs, il faut notifier que les violations de certains droits des migrants dans les milieux de départ ont des conséquences qui peuvent se transformer à des conflits familiaux et communautaires.
Violation des droits des migrants et conflits à l’échelle familiale ou communautaire
L’étude révèle que plus de la moitié des migrants de retour se heurtent à des conflits soit à l’échelle familiale ou communautaire. Les raisons de ces conflits sont en général ancrées dans un abus de confiance dont sont victimes les jeunes migrants. Pendant leur séjour à l’extérieur de leurs ménages, la plupart d’entre eux envoient de l’argent pour investir ou pour soutenir leurs familles. Ces envoies se font le plus souvent par l’intermédiaire d’un de leurs proches (amis ou membres de la famille). Le détournement de ces fonds engendre des tensions à leur retour. Ces conflits peuvent aussi engager les migrants entre eux, comme en témoigne un Chef de village qui affirme que :
« La plus grande plainte c’est entre les migrants eux même. Par exemple quand un va revenir au pays, un autre peut lui donner un colis à remettre à sa famille. Une fois arrivée, la personne peut ne pas tout donner. Quand l’autre apprend, ça devient un problème. Surtout s’il s’agit de l’argent. » (Moudi2, chef du village).
D’autres conflits sont liés à l’endettement. Il arrive que certains candidats à la migration contractent des dettes pour partir en migration comme expliqué en amont. Parfois, ces émigrants sont refoulés avant même d’arriver à destination ou juste une fois à destination. Il leur devient difficile, voire impossible, de rembourser leurs dettes. Une fois de retour au pays, ils font l’objet des tensions comme en témoigne un migrant de retour qui affirme que :
« Bien-sûr, quand tu rentres sans pouvoir payer la dette, si c’est une personne qui n’a pas de problème, elle peut te dire de laisser jusqu’à ce que tu retournes pour la payer, mais pour une autre, tu te débrouilleras pour payer. » (Balla2, migrant de retour).
Pour terminer, il y a des cas de divorces prononcés par les autorités coutumières ou religieuses à la demande des conjointes des migrants, très souvent à la suite d’une longue absence du mari migrant (plusieurs années). Une fois qu’ils reviennent au pays, les migrants font recours à la justice pour annuler le divorce comme en témoigne une autorité administrative d’une commune d’intervention qui explique :
« Quand tu laisses ta femme pendant plusieurs années, elle peut porter plainte contre ton père ou ton grand frère pour les contraindre à la divorcer. Quand c’est fait, tu vois un droit a été violé puisque ce n’est pas toi qui l’as divorcé. Une fois de retour au pays quand tu pars chez le Chef du village, il va te dire que c’est en présence des membres de ta famille que ça a été fait, donc tu pars à la justice, là où tu sais que tu auras gain de cause. » (Nomao2, migrant de retour).
Ces recours se soldent généralement par des tensions entre les familles ou entre les communautés et peuvent même se transmettre de génération en génération. Une des meilleures solutions pour prévenir ou réduire ces violations, une sensibilisation sur le respect des droits humains des migrants s’avère nécessaire. Toutefois, cela ne peut se faire qu’à travers des actions concrètes et inscrites dans la durée. Si elles sont conduites régulièrement, les campagnes de sensibilisation au sein des différentes communautés peuvent apporter un changement. Et ce sont ces types d’activités que les autres partenaires au projet GDDH mettent en œuvre dans les communes de Kourni et Tsaouni dans le département de Kantché et dans la commune de Korgom dans le département de Tessaoua. Une évaluation finale est prévue pour juger des avancées obtenues à la fin des activités du projet.
[1] https://www.ohchr.org/EN/Issues/Migration/Pages/GlobalCompactforMigration.aspx.
[2] Antérieurement appelée L’Initiative OASIS Niger
[3] Ce prénom est fictif. Le vrai prénom du participant a été remplacé pour des raisons de confidentialité.