Contours de la migration des femmes dans les départements de Kantché et de Tessaoua

Au cours de ces dernières années, on assiste à une montée en puissance des mouvements migratoires des femmes nigériennes. Le département de Kantché dans la région de Zinder et l’Est du département de Tessaoua dans la région de Maradi s’illustrent comme les grands foyers de ces mouvements. Des pays comme l’Algérie, la Libye et plusieurs pays de la sous-région ouest-africaine constituent leurs lieux de prédilection de ces femmes migrantes.

Le cas récent des mendiants d’origine nigérienne à Dakar, dont la majorité sont des femmes avec leurs enfants, est assez illustratif. Les statistiques font état de 478 enfants, 413 femmes et 162 hommes rapatriés au Niger entre le 25 et 26 mars 2022. En amont, un communiqué du gouvernement du Niger en date du 22 mars 2022 explique cette situation par « un trafic illicite de migrants et de la traite de personnes organisées par des groupes criminels en direction de certains pays voisins et même au-delà ».

Bien que ce phénomène ne soit pas nouveau, il a été longtemps ignoré dans les débats publics au Niger, faute souvent de statistiques concluantes ou de travaux scientifiques. Plusieurs récits révèlent que les motivations qui poussent ces femmes à migrer sont multifactoriels et que leur compréhension nécessite des investigations poussées. Aussi, les femmes se confrontent très fréquemment à plusieurs types de violation de leurs droits dans ce cheminement. De même, de nombreux enfants sont embarqués dans ce parcours migratoire et se trouvent victimes de privation de leurs droits à l’éducation et à une alimentation saine, ce qui contribue à hypothéquer leur avenir.

Récemment, le Gouvernement du Niger a formulé une Déclaration de politique générale (DPG)[1] et parmi les priorités on note le renforcement de l’accès des citoyens aux droits fondamentaux et la réduction de l’extrême pauvreté en renforçant la résilience des personnes et des communautés. Pour accompagner le gouvernement à concréter cela, plusieurs partenaires techniques et financiers se sont engagés. C’est dans ce cadre que l’Ambassade Royale du Danemark auprès du Niger, à travers OXFAM Danemark, a initié le projet « d’appui au renforcement de la Gouvernance Démocratique et des Droits Humains au Niger » (GDDH). L’objectif principal est de « contribuer au renforcement de la gouvernance démocratique et au respect des droits humains au Niger […] en appuyant les actions des autorités administratives indépendantes et des organisations de la société civile nigérienne sur les thématiques des droits humains, de la gestion des conflits et l’accès à une information diversifiée et de qualité ».

Dans le cadre de ce projet, le consortium composé des ONGs CADEL, ONEN et GRADE Africa[2] a travaillé en faveur d’un « Appui à l’inclusion sociale et à la promotion des droits des jeunes et femmes migrants dans les régions de Maradi (Tessaoua) et de Zinder (Kantché) ». Le travail de ce consortium est accompagné par un volet d’apprentissages mis en œuvre par GRADE Africa à travers une approche mixte d’investigation alliant le qualitatif et le quantitatif. Conduites dans le cadre d’une évaluation de base, les investigations réalisées visaient à établir les profils des migrants, à élucider les liens entre la migration et les conflits à l’échelle familiale ou communautaire et à analyser l’accès des migrants aux services sociaux de base.

Cet exposé, en complément d’un autre portant sur les jeunes migrants, présente les raisons qui poussent les femmes de ces zones à migrer et les violations de droits humains dont elles et les enfants qu’elles embarquent dans leurs projets sont victimes pendant leurs parcours migratoires.

Motifs de la migration chez les femmes

Habituellement un phénomène qui touche surtout les hommes, la migration implique désormais les femmes. Face aux aléas de la vie quotidienne, la migration vient toucher le pivot même de la famille. Qu’elles soient victimes ou actrices de la migration, plusieurs raisons amènent les femmes à se déplacer. Comme le révèle cette évaluation de base, la forte migration féminine qu’enregistre le département de Kantché et l’Est du département de Tessaoua est le fruit d’une crise alimentaire récurrente. L’irrégularité des pluies, liée au changement climatique, et l’insuffisance de terre agricole, liée à une pression démographique exercé sur les ressources existantes, constituent deux facteurs majeurs de cette crise permanente.

Néanmoins, d’autres causes comme l’effet d’imitation, l’émigration des conjoints et le veuvage poussent les femmes de ces localités à partir. En effet, lorsque la femme constate qu’une voisine, une amie ou un membre de sa famille exhiber des signes de réussite suite à son départ à l’extérieur du pays, elle est souvent tentée de faire autant. Pour soutenir cette assertion, un des élus locaux interrogés déclare :

« C’est vraiment le souci de s’enrichir, d’avoir plus, qui pousse d’autres à aller, pas même le désir de combler le déficit alimentaire. Les gens aiment avoir beaucoup, comme j’ai eu à le dire. Peut-être on ne sait pas, par quelle chance l’autre s’est débrouillé pour réussir. Donc, cela t’a attiré à aller toi-même à des aventures. Parfois ce sont des mésaventures. Donc c’est le besoin d’avoir plus qui pousse ces femmes-là, surtout les femmes à aller à la recherche de ces situations. » (H, élu local.)

En approfondissant ses propos, cet élu local ajoute que la question de l’émigration féminine a commencé à prendre de l’ampleur dans le département de Kantché par exemple depuis les années 1990. Il soutient que certaines de ces femmes qui partent en Algérie, en Lybie ou vers d’autres pays de la sous-région ouest-africaine, ne sont pas très vulnérables. Souvent, elles vendent des biens précieux ou du bétail (vaches, bœufs) pour émigrer. Selon lui, ce qui pousse certaines femmes à s’adonner à la migration, c’est surtout l’effet d’imitation.

En revanche, il y a certaines catégories de femmes qui sont contraintes à émigrer. Celles-ci ont leurs conjoints à l’extérieur et ne bénéficient d’aucun transfert financier de leurs parts. À cette catégorie s’ajoutent les veuves avec des enfants, lesquelles, par manque de subsistance, se voient contraintes d’émigrer pour espérer subvenir aux besoins de leurs enfants. Un des chefs de village interrogé témoignage dans ce sens :

« Les veuves, celle dont le mari est décédé et lui a laissé des enfants en charge. Les parents du mari sont également dans des difficultés et ne peuvent s’occuper d’eux. C’est quand tu as assez de moyens que tu peux t’occuper de toi-même et t’occuper des enfants d’un parent. Donc, la femme se voit dans l’obligation de partir chercher de quoi s’occuper de ses enfants. Certaines se retrouvent avec 5, 4 ou 2 enfants en leur charge. L’agriculture n’est plus fiable même pour les hommes, à plus forte raison les femmes. » (T, chef du village.) 

Dans ces localités où le capital foncier est le principal capital productif et où les activités génératrices de revenus sont très peu diversifiées et peu pratiquées, la rareté des ressources s’inscrit parmi les principales causes de départ. Les veuves ou celles dont les maris sont partis depuis des années n’ont plus de choix. Il faut partir, avec l’espoir d’une meilleure situation.

Aussi, dans le contexte nigérien, la femme rurale est victime d’une limitation de son droit à la propriété. En considérant le droit coutumier qui régit 95 % des ménages nigériens, la femme n’a pas le droit d’accéder à l’héritage foncier, bien que l’Islam lui accorde un droit d’héritage, lequel préconise une part pour l’homme et une demi-part pour la femme pour tous les biens, y compris le foncier agricole, légués par les parents. Le foncier rural est en général une « affaire d’hommes » et le mari peut céder à sa femme un lopin de terre qu’elle cultive pour ses besoins, sans que la terre, en général, ne lui appartienne définitivement.

Violations des droits et mauvaise réputation des femmes migrantes

Beaucoup des témoignages reçus de la part des migrants de retour interrogés ont révélé qu’une fois dans les pays d’accueil, les femmes émigrantes vivent dans des conditions extrêmement difficiles. Elles logent hors de la ville ou dans des endroits insalubres. Des pays comme l’Algérie et la Lybie sont les endroits où plusieurs récits rapportés montrent que ces violations de droit au logement sont les plus fréquentes comme en témoigne un migrant de retour interrogé. Ce dernier affirme :

« Les femmes qui migrent rencontrent des difficultés, puisqu’elles n’ont même pas où dormir, surtout celles qui partent avec des ribambelles d’enfants, ils dorment parfois à côté des dépotoirs, elles sont discriminées et ont même des difficultés à avoir le mangé. » (T, migrant de retour.)

En plus de ce qu’elles endurent dans les pays d’accueil, une fois de retour dans leurs villages d’origine, les femmes subissent d’autres privation de droits sociales. En effet, les femmes émigrantes, surtout non mariées, font l’objet d’une mauvaise réputation dans la société. Beaucoup considèrent que ces femmes se prostituent à l’extérieur du pays. Certains rapportent qu’elles recrutent des compatriotes hommes pour assurer leurs protections contre les abus sexuels, mais qu’une fois ces derniers se familiarisent avec elles, ils se comportent comme leurs époux. D’autres faits rapportés indiquent également que certaines femmes mariées qui ont quitté sans leurs époux ont eu des enfants illégitimes à l’extérieur du pays. Tous ces préjugés rendent l’intégration sociale difficile aux migrantes de retour, comme en témoigne un migrant de retour qui déclare :

« Il est difficile pour elles d’avoir un époux, en plus de cela elles sont indexées, les gens parlent, elles sont discriminées. Vous connaissez nos traditions Haussa. Mais les jeunes hommes, de leur côté il n’y’a aucun problème. » (K, migrant de retour.)

Violations des droits et traite des enfants

La migration des femmes dans le département de Kantché et l’Est du département de Tessaoua n’a pas seulement des conséquences néfastes que sur elles-mêmes. Elle prive aussi beaucoup d’enfants de leur droit à l’éducation ; ce qui risque de compromettre leur avenir. Lorsque ces femmes émigrent, elles ont tendance à déscolariser leurs enfants pour émigrer avec eux comme en témoigne un enseignant interrogé dans l’un des villages ciblés qui déclare :

« Certains parents amènent leurs enfants en migration avec eux, ce qui affecte beaucoup l’école, cette année il y’a eu beaucoup d’élèves qui sont partis. » (H, enseignant d’un des villages ciblés.)

En effet, la quasi-totalité des femmes de ces localités qui émigrent n’exerce que la mendicité comme activité. Et cela pousse beaucoup d’entre elles à émigrer avec leurs progénitures afin d’exposer leur vulnérabilité, attirer de la compassion et générer ainsi plus d’aumônes. Certains rapportent que certaines femmes recrutent les enfants d’autrui moyennant le versement d’une somme d’argent convenue avec leurs parents. Une fois dans les pays d’accueil, ces enfants sont octroyés à de vieilles femmes moyennant des sommes d’argent afin de les guider dans le cadre de la mendicité. Ce qui peut être considéré comme un trafic d’enfants ou une traite de personnes, car ces enfants sont exploités à des fins économiques.

Leçons et voix d’action

Cette investigation confirme que la migration des femmes s’accompagne d’une violation des droits pour elles-mêmes et pour leurs enfants. Aussi, la mendicité constitue une des activités phares des migrantes dans certains pays d’accueil. Par contre, les allégations de prostitution ne semblent pas bien fondées. Comme piste de solutions, les acteurs politiques au niveau local et national peuvent :

  • Identifier et sanctionner tous les auteurs impliqués dans la traite et le trafic d’enfants qui se font dans le cadre de la migration internationale ;
  • Assister les mères des élèves orphelins à travers des allocations ou en créant des cantines scolaires pour ces élèves ; ce qui éviterait leur déscolarisation et d’être victimes de traite ou de trafic de personnes ;
  • Renforcer la compétence des femmes du département de Kantché et de l’Est du département de Tessaoua en activités génératrices des revenus (AGR) à travers par exemple le développement des cultures maraichères dans ces localités.

C’est pour répondre, en partie, à ces préoccupations que sont menées des activités de sensibilisation et d’assistance pour une meilleure connaissance des droits humains des migrants dans les communes de Kourni et Tsaouni dans le département de Kantché et dans la commune de Korgom dans le département de Tessaoua. Une évaluation finale est prévue afin de juger de l’apport de ces activités qui s’inscrivent dans le cadre du projet GDDH.


[1] https://www.gouv.ne/images/DPG-PM-VERSION-15-mai2021.pdf

[2] Antérieurement appelée L’Initiative OASIS Niger