Enquete: Subvention accordée par l’Etat aux partis politiques : De l’opacité dans l’octroi et l’utilisation des fonds

« Nous estimons que c’est à cause de nous que le versement de la subvention a été suspendu pour nous priver de ressources et empêcher la réalisation de notre programme d’actions politiques ». Ces propos sont de M. Maman Sani Mahamane, Secrétaire général du Mouvement Démocratique Nigérien pour une Fédération Africaine (Moden Fa Lumana), le principal parti de l’opposition au Niger. Il réagissait ainsi à la décision prise par le Ministère de l’intérieur, de suspendre l’octroi de la subvention de l’Etat aux partis politiques. Une décision à « caractère orienté », estime-t-il, juste pour priver des ressources, certains partis politiques.

En effet, les partis politiques légalement reconnus au Niger et remplissant les conditions fixées par l’Ordonnance 2010-84 du 16/12/2010, portant Charte des partis politiques, bénéficient depuis 2011, d’une subvention annuelle de l’Etat. Il s’agit d’une aide financière directe, qui n’est ni un prêt ni une avance de trésorerie, à leur être accordée afin qu’ils puissent « assurer la sensibilisation et l’éducation civique de leurs membres et contribuer à la formation de l’opinion, en vue de la préservation et de la consolidation de l’unité nationale, de la démocratie et de l’Etat de droit… ».

Cependant, force est de constater que, tant dans le processus d’octroi de cette subvention que dans l’usage qui est fait des fonds alloués, les dispositions de la loi y relatives sont piétinées de part et d’autre. « Des partis politiques ne remplissant pas les conditions ont bénéficié de la subvention et les fonds alloués ont été dépensés dans des conditions autres que celles prévues par la loi », souligne le Rapport Général Public 2014 de la Cour des Comptes.

Suite à ce rapport de la plus haute juridiction nigérienne en matière du contrôle des finances publiques, assorti d’une forte recommandation adressée au ministère de l’intérieur, la Cour des comptes a demandé et obtenu de la tutelle des partis politiques au Niger, « l’arrêt de l’octroi de la subvention de l’Etat aux partis politiques ne remplissant pas les conditions », après quatre années d’attribution de cette subvention qui se faisait dans des conditions floues.

Une démarche qui participe, selon la Cour des comptes, à « favoriser le respect de la loi tant dans l’octroi de la subvention que dans l’usage des fonds alloués », mais aussi à « la préservation des biens publics ». C’est ainsi que depuis 2014, l’Etat a suspendu l’octroi de la subvention jusqu’à ce que les partis politiques se soient conformés à la loi. « Au vu du caractère très sévère des critères fixés par la loi pour bénéficier de la subvention de l’Etat, il serait très difficile pour les partis politiques nigériens de satisfaire aux conditions posées », estime le Secrétaire général du Moden Fa Lumana.

  • Du non-respect de critères dans l’octroi de la subvention

De 2011 à 2013, les subventions accordées aux partis politiques n’ont pas respecté les critères d’éligibilité imposés par l’Ordonnance citée plus haut. « Les investigations diligentées ont révélé que la Direction Générale des Affaires Politiques et Juridiques (DGA/PJ) du ministère de l’intérieur a accordé la subvention sur la base de trois critères, à savoir : la tenue de congrès statutaire, la représentation locale et/ou la représentation à l’Assemblée Nationale », révèle Abdourahamane Gousmane dans une étude réalisée en 2017 sur le contrôle des comptes de campagne électorale.

Mais pour la DGAPJ, « il s’agissait d’une dérogation aux critères fixés par la charte des partis politiques » qui, selon nos sources, a été décidée par la classe politique, en réunion du Conseil National de Dialogue politique (CNDP) qui est un cadre de concertation regroupant les partis politiques, toute tendance confondue. Il ressort de cette modification voulue et obtenue par les partis politiques que « pour l’année 2011, la subvention de l’Etat sera accordée sur la base de la participation des partis politiques aux élections organisées pendant la transition et ayant une représentation à l’Assemblée Nationale ou dans les conseils locaux ». 

Nonobstant cette « entente » au sein de la classe politique nigérienne, la Cour des comptes est restée ferme dans son Rapport Général Public 2014, indiquant que « dans l’octroi de la subvention de l’Etat aux partis politiques, l’article 30 de l’Ordonnance N°2010-84 du 16/12/2010, portant Charte des partis politiques n’a pas été respecté ».

Pour preuve, la Cour a souligné dans ce même rapport que « la subvention au titre de l’année 2013 d’un montant de 350 000 000 Fcfa a été octroyée aux partis politiques ne remplissant pas les conditions ».  

Elle a en outre relevé que « l’utilisation des fonds alloués aux partis politiques bénéficiaires n’a pas aussi respecté la clé de répartition par postes de la subvention » qui, aux termes des dispositions de l’article 30 de la même Ordonnance est de « 50% pour le fonctionnement ; 30% pour la formation et 20% pour les divers ».

  • Violation des conditions légales d’utilisation de la subvention  

Le contrôle portant sur l’utilisation de la subvention de l’Etat a pour objectif de « vérifier la régularité et la sincérité des comptes dont les critères se déduisent de la mise en place d’une organisation interne, permettant aux partis politiques de suivre de manière continue et sûre, les opérations qu’ils traitent avec les tiers et qui impliquent des mouvements de biens et de valeurs », souligne le magistrat Abdourahamane Gousmane.

Il intègre aussi les principes de la bonne gouvernance que les partis politiques, dans leur écrasante majorité bafouent allégrement aux mépris du respect de la loi qui les régisse, alors qu’ils ont obligation de promouvoir la bonne gouvernance dans tous les domaines.

Malheureusement, peu des partis politiques respectent cette obligation comme en témoigne le contrôle des comptes des partis politiques au titre de l’exercice 2012. Lequel a relevé que sur les vingt-quatre (24) partis politiques ayant bénéficié de la subvention de l’Etat, « aucun n’a respecté l’utilisation de la subvention telle que prévue par l’Ordonnance portant Charte des partis politiques ».

De ce contrôle, la Cour des comptes a relevé que des « fonds publics ont été dépensés par des partis politiques bénéficiaires de la subvention de l’Etat au titre de l’année 2014 dans des conditions autres que celles prévues par la loi ».

Selon la Cour, l’on retrouve dans cette situation, les partis politiques : PDP ANNOUR ; PNA AL-OUMA ; RDP JAMA’A ; UDPS AMANA ; UDR TABBAT ; UDSN TALAKA LE BATISSEUR ; ANDP ZAMAN LAHIYA ; MODEN FA LUMANA ; MOURNA FARAHAN ; RSD GASKIA ; UNI et PSDN ALHERI.

Pour la majorité de ces partis politiques incriminés, les principales anomalies relevées par la Cour des comptes dans la gestion de la subvention de l’Etat sont entre autres : l’absence d’une organisation et d’un système comptable ; la non certification des comptes ; le non-respect du dépôt légal des comptes ; le non-respect des postes de répartition de la subvention de l’Etat ainsi que la classification des ressources.

« Tous ces partis politiques sont passibles des poursuites pour détournement des deniers publics en application des dispositions pertinentes de l’article 41 de la Constitution du 25 Novembre 2010 ainsi que celles de l’article 30 de l’Ordonnance 2010-84 du 16/12/2010, portant Charte des partis politiques », déclare Djibo Boubacar, juriste de son état.

Une situation qui fait dire à la Cour des comptes dans son Rapport Général Public 2014 que « l’utilisation de la subvention dans les proportions prévues par les dispositions de l’article 30 de la Charte des partis politiques n’est pas encore effective », preuve que « seuls les partis ARD ADALTCHI  MUTUNTCHI, CDS RAHAMA, PDP ANNOUR, ADC YARDA, PNDS TARAYYA et UDR TABBAT ont pu présenter leurs comptes en conformité avec les prescriptions de la Charte ».

Dans le même ordre d’idées, le Rapport Général Public 2015-2016 fait état du « non-respect de la répartition de l’utilisation de la subvention de l’Etat », soulignant que « douze (12) partis politiques sur les quinze (15) ayant perçu leur subvention en 2013 n’ont pas respecté la clé de répartition de l’utilisation de la subvention de l’Etat ».

Or, selon les principes de la comptabilité publique, « toute dépense non prévue ou faite contrairement à l’objectif pour lequel les fonds ont été libérés en constitue un détournement des deniers publics », a expliqué Mohamed Tahirou, comptable-fiscaliste.

Afin de prévenir de tels manquements dans la gestion de la subvention accordée par l’Etat aux partis politiques, la Cour des comptes a entrepris un certain nombre d’activités, dont la sensibilisation des dirigeants des partis politiques au « respect de la loi dans les dépenses liées à l’utilisation de la subvention de l’Etat » ainsi que des formations sur les procédures de gestion à l’endroit des comptables et agents financiers des partis politiques.

  • De l’arrêt d’octroi de la subvention

Faisant suite à la lettre de la Cour des comptes demandant l’arrêt de l’octroi de la subvention de l’Etat aux partis politiques ne remplissant pas les conditions, le ministère de l’intérieur, à travers la DGAPJ, s’est engagé par lettre N°008/MISPD/DGAPJ du 8 septembre 2015 à n’accorder la subvention qu’aux partis politiques remplissant les conditions édictées par l’Ordonnance N°2010-84 du 16/12/2010, portant Charte des partis politiques.

Par cette décision, l’intérêt poursuivi est d’« amener l’autorité de tutelle et les partis politiques à respecter la loi dans toute sa plénitude » et surtout à « préserver les fonds publics de tout détournement ou mauvaise utilisation ». Toute chose que les partis politiques refusent de reconnaitre, estimant qu’elle a été prise uniquement pour les empêcher de disposer des ressources.

Or, étant donné le caractère sacré des biens publics, l’obligation incombe ainsi à tout parti politique bénéficiaire de la subvention de l’Etat de respecter scrupuleusement les dispositions réglementaires qui encadrent leur utilisation. 

Dans cette démarche, la Cour des comptes ne s’était pas juste limitée à demander la suspension de l’octroi de la subvention aux partis politiques, elle s’est plutôt engagée à les accompagner dans la compréhension et la maitrise des textes relatifs à l’utilisation des fonds publics que l’Etat met à leur disposition.

A cet effet, elle a pris un certain nombre d’initiatives en la matière, parmi lesquelles l’encadrement des partis politiques sur l’obligation qui leur incombe de déposer leurs comptes dans le délai ; de respecter la loi dans l’utilisation de la subvention à eux accordée par l’Etat ; la formation des comptables des partis politiques sur le contrôle des comptes, l’implantation d’un canevas de présentation  des comptes, l’installation au niveau d’une vingtaine de partis politiques d’un système comptable pour pallier les difficultés liées à la production des rapports comptables, etc.

Des initiatives qui concourent toutes à asseoir la bonne gouvernance dans la gestion des finances au sein des partis politiques, notamment la subvention accordée par l’Etat.

Tant que les partis politiques ne fassent l’effort de respecter les textes qui les régissent, notamment l’Ordonnance N°2010-84 du 16/12/2010, portant Charte des partis politiques, l’accès à la subvention de l’Etat demeurera problématique pour ces derniers. La loi étant impersonnelle, il appartient à chaque parti politique de se conformer aux lois et règlements de la République. D’ailleurs, c’est en agissant de la sorte qu’ils participent à la construction d’un véritable Etat de droit où les lois et règlements de la République sont scrupuleusement respectés.

Les partis politiques doivent se donner également les moyens d’éviter d’être complices dans le contournement de la loi à chaque fois que leurs intérêts sont en jeu. Plutôt, il est de leur responsabilité à œuvrer pour le respect de la loi et à promouvoir la transparence dans la gestion de la chose publique.

Enquête réalisée par Sahirou Youssoufou dans le cadre du Programme « Lutte contre la corruption et les malversations fiscales » /APAC-Niger.